Un revolver d'officier modèle 1874 un peu spécial: Il présente une particularité unique au niveau du marquage présent sur le canon.
Nous sommes en présence d'un revolver modèle 1874 qui pourrait paraître tout ce qu'il y a de plus classique.
Fabriqué en 1876, à la Manufacture d'Armes de Saint Etienne (MAS), ce Chamelot-Delvigne modèle 1874, portant le numéro de série N 4780, présente une particularité, qui en fait une pièce unique, et un modèle intéressant, autant au niveau de la collection, que par les questions qu'il soulève.
Ce revolver modèle 1874 est ici (et tout le long de l'article) comparé à un revolver modèle 1873 classique de 1883.
Un revolver d'ordonnance modèle 1874, marqué "Mle 1873" sur le canon
Aspect extérieur de ce modèle 1874
D'aspect extérieur, on retrouve toutes les caractéristiques d'un modèle réglementaire fabriqué à la MAS (ce qu'il est):
Cage du barillet plus courte que le modèle 1873:
Allègement de la poignée:
Barillet cannelé:
Guidon du modèle 1874:
(Guidon du revolver modèle 1874 à gauche, comparé à celui d'un modèle 1873, à droite)
Poussoir (côté gauche) avec tenon sur le dessous:
Restes de bronzage (dans la crosse):
Les marquages et poinçons de ce revolver modèle 1874
Au niveau des marquages, ils sont cohérents:
Numéro de série: N 4780
Numéro de série court: X 80
Année sur le canon: S. 1876
Pas de "M" au dessus de la plaquette de crosse droite (arme non retournée en manufacture)
Marquage des contrôleurs (directeur de la Manufacture d'Armes de Saint Etienne (MAS) et contrôleur principal): M (Général Maignien) et J
Poinçons des contrôleurs de 1ère, 2e et 3e classe
Il n'y a donc que ce marquage "Mle 1873" au lieu de "Mle 1874" qui ne soit pas le bon.
Constat, hypothèses et pistes de réflexions sur ce marquage "Mle 1873" sur un revolver modèle 1874
Constat: Un Revolver Modèle 1874 réglementaire de la MAS?
Indéniablement, ce revolver n'est pas un modèle civil, mais bien un modèle militaire, fabriqué à la MAS.
Le revolver, du fait de ses marquages (numéros de série, année, contrôleurs, ...) et par son aspect est bien un modèle 1874.
Le canon est bien celui d'origine, et paraît être pour le modèle 1874: numéro de série dans la même police que le reste, marquage de l'année cohérent (pas de changement en manufacture plus tard), guidon du modèle, ...
Le marquage "Mle 1873" correspond à celui frappé sur les canons des revolvers mle 1873, avant 1885 (voir l'article consacré à l'évolution des marquages sur le canon).
Au vu de ces éléments, de l'arme en elle même (patine cohérente sur toute l'arme, et origine de la "trouvaille"), on peut exclure un remontage récent.
Première hypothèse: Changement de canon par un chef armurier, en campagne
Le fait que ce revolver ne soit pas repassé en manufacture (pas de "M" au dessus de la plaquette droite) pourrait nous faire penser à une réparation en régiment, par le chef armurier.
En effet, chaque régiment stocke un certain nombre de pièces de rechange, par arme, pour pouvoir réparer l'armement en campagne:
source: Aide-mémoire à l'usage des officiers d'artillerie, Chapitre 17, du 1er Décembre 1879, p.73-74.
source: Aide-mémoire à l'usage des officiers d'artillerie, chapitre 17, du 1er Décembre 1879, p.91 à 93.
On pourrait donc penser que, à court de canon marqué "Mle 1874", c'est un canon marqué "Mle 1873" qui aurait été monté.
Toutefois, l'article 130 du journal militaire officiel de 1884 (voir dans la bibliographie) concernant les réparations des armes en service, stipule que:
"Le chef armurier exécute les réparations d'après les procédés qui lui ont été enseignés dans les manufactures d'armes et en se conformant en outre aux indications contenues dans l'instruction sur les armes en service (art. 377).
Il marque de son poinçon toutes les pièces neuves mises en place, soit par lui même, soit par ses ouvriers, en ayant soin d'appliquer cette marque de manière à ne pas dégrader la pièce.[...]
Une empreinte authentique du poinçon du chef armurier reste entre les mains du conseil d'administration" (voir la pages consacrées aux marquages et poinçons du revolver modèle 1873)
Or, ici, nous n'avons pas de trace de poinçons de ce chef armurier.
On remarquera aussi que l'aide-mémoire à l'usage des officiers d'artillerie, daté du 1er Décembre 1879 (çi-dessus), ne fait pas mention de canons de rechange dans les caisses d'outils et pièces d'armes des chefs armuriers.
On peut donc en déduire que le canon n'a pas été changé en régiment.
Deuxième hypothèse: Une erreur de poinçon, en manufacture
En 1876, la Manufacture d'Armes de Saint Etienne fabrique:
- 52 126 revolvers du modèle 1873
- 6 808 revolvers du modèle 1874
C'est l'année avec la plus grande cadence de fabrication de ces 2 modèles de revolver.
On peut imaginer que pour maintenir les cadences, un ouvrier qui travaillait habituellement à la fabrication des modèles 1873 a été affecté à la production des modèles 1874. La fatigue, ou un mauvais réflexe, ou encore une surcharge de travail (la Manufacture visait la production de 200 revolvers par jour, pour 2 000 ouvriers), a fait qu'il s'est trompé de poinçon, et à saisi celui pour les modèles 1873.
Une fois le poinçon appliqué, il était trop tard pour faire marche arrière...
La MAS s'organisait alors en petits ateliers distincts où un homme seul montait un revolver entièrement, avec différentes étapes de contrôles. Une pénalité était appliquée pour les armes non conformes.
Lors du contrôle de l'arme, soit elle est passée, car le défaut n'était pas rédhibitoire et les contrôles s'attachaient à la qualité globale de chaque arme et moins à des "détails" comme le marquage, soit le contrôleur principal ne l'a tout simplement pas vu au milieu du flux important des armes à vérifier...
On peut aussi imaginer que l'erreur de l'ouvrier est tout simplement une blague !
Elle pourrait venir, soit de ses collègues, qui ont échangés les poinçons à son insu, soit de l'ouvrier lui même, afin de prouver que le contrôleur principal est un incapable, pas fichu de voir qu'un marquage n'est pas le bon!
Troisième hypothèse: Canon de 1873, monté par erreur en atelier, sur un revolver modèle 1874
Enfin, dans la même lignée que la piste précédente, on peut penser que le marquage du modèle sur le canon se faisait lors de la fabrication du canon, et ce canon s'est retrouvé sur l'établi d'un monteur de modèle 1874, par erreur.
Au delà d'une erreur, c'est peut être aussi un test (est-ce que le canon d'un modèle s'adapte à l'autre modèle ?), ou un manque ponctuel de canon mle 1874 au moment d'un montage et sur une période de livraison imminente.
Dans tous les cas, l'hypothèse 3 inclue que la mise en place du guidon se fait dans les dernières étapes de montage du revolver.
Pistes de réflexion
Les 2 dernières hypothèses soulèvent plusieurs questions, et notamment:
- Le moment du marquage "Mle 1873" ou "Mle 1874" sur le canon?
- Contrôles et vérifications: qu'est ce qui était testé, et à quel moment ?
- Un défaut de marquage est-il rédhibitoire ?
Au moins 2 de ces questions peuvent avoir une réponse:
La première question, concernant le moment du marquage sur le canon, peut trouver une réponse dans les courriers échangés lors de l'adoption du modèle 1873, par le ministère, l’inspecteur des manufactures d’armes et le directeur de la MAS (voir cet article consacré à l'adoption du modèle 1873 et aux changements mis en place sur les 2 premières années de production.
On y apprends, dans un courrier du 3 Octobre 1873, envoyé par l’inspecteur des manufactures d’armes au directeur de la MAS que "Tous les canons ont un enfoncement plus ou moins fort provenant du poinçon du contrôleur appliqué sur le pan du dessous du canon.".
On peut en déduire que ce marquage du contrôleur ("E" courroné) arrivait après un contrôle du canon, et donc qu'il était le dernier apposé dessus, et que suite à cette remarque (précédant de 4 mois la demande de changement de taille du marquage "Mle 1873" sur le dessus du canon), les contrôles du canon ont du être plus rigoureux.
L'ouvrier monteur ne devant pas intervenir sur le canon, le marquage du modèle devait déjà être présent lors de la mise en place de ce canon sur la carcasse.
Pour la dernière question (Un défaut de marquage est-il rédhibitoire ?), on rencontre très régulièrement des revolvers modèles 1873 avec un "double marquage" de la Manufacture d'Armes de St Etienne. Souvent, le marquage est dé-doublé, du fait d'un double passage de la roulette de marquage. Ils ont quand même passé les tests, et furent envoyés en régiment, malgré ce défaut.
Mais qu'en est-il pour les modèles 1874, destinés aux officiers, et donc censés être mieux finis ?
Revolver modèle 1873 (numéro de série G 52814), possédant un double marquage de la Manufacture d'Armes de Saint Etienne, Source: Naturabuy).
Conclusion:
Nous sommes bien en présence d'un revolver modèle 1874, doté d'un marquage du modèle de troupe (1873).
Ce montage, au vu des éléments abordés çi dessus, paraît d'origine, puisque la piste d'une réparation en régiment peut être abandonnée.
L'erreur (ou la blague) proviendrait donc bien du montage en manufacture d'un canon avec le marquage "Mle 1873" au lieu de "Mle 1874" (hypothèse 3), ou d'une blague potache entre collègues de la MAS (mais moins probable, à cause des pénalités en cas de non conformité).
Dans tous les cas, il nous reste aujourd'hui une curiosité intéressante pour le collectionneur, et une belle histoire à raconter, avec ce revolver !
Remerciements
Je tiens à remercier J-C T. de m'avoir apporté ses revolvers (en photos sur cet article) ainsi que pour sa gentillesse, sa patience et nos longs échanges par mail sur ce revolver modèle 1874 sortant de l'ordinaire.
Ce fut une rencontre, entre collectionneurs, riche et fort intéressante.
Auteur: Quentin Jaubert
Passionné par l'Histoire, les armes anciennes et les objets anciens en général, collectionneur de sabres et revolvers français, d'uniformes, et de toutes les histoires que ces objets racontent, j'adore fouiller et chercher, pour partager ensuite mes connaissances...
Vous pouvez aussi me retrouver sur différents forums consacrés aux armes anciennes, sous le pseudonyme de Quentin1873, notamment sur TCAR, Passion Militaria, ... où encore sur le groupe Facebook "Collectionneurs d'Armes Anciennes / Antique Gun Collectors".
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